Hommage au Professeur Mamoussé Diagne.
Pr. Mamoussé DIAGNE |
Dans la Grèce
antique, pour honorer ses plus valeureux citoyens ou ses plus grands
bienfaiteurs, la cité d’Athènes leur
autorisait un séjour dans le Prytanée, lieu mythique où brûlait alors le feu
sacré qui ne s’éteignait jamais, ce qui constituait à cette époque, la plus
prestigieuse récompense que cette cité pouvait décerner à un citoyen. Si le
Sénégal savait apprécier la valeur de ses grands hommes pour les honorer de la
même manière que les Athéniens, nul doute que le Professeur Diagne y aurait eu
droit parce que nul ne l’aurait mérité mieux que lui. Le Professeur Mamoussé
Diagne est pour notre pays ce que le feu sacré a été pour le Prytanée, il est
le soleil qui a répandu sa lumière bienfaitrice sur l’université Cheikh Anta
Diop de Dakar, il est la flamme d’amour et de sagesse qui a maintenu
incandescente « la philosophia perennis » dans notre pays. Si, depuis
le Ve siècle BC jusqu’à nos jours, la philosophie n’est pas devenue un « champ
de ruines » sous l’effet des multiples attaques que ses détracteurs n’ont
jamais cessé de perpétrer contre elle, c’est parce que de grands hommes se sont
sacrifiés pour sa survie et sa pérennité. Socrate fut mis à mort avec une
cruauté qui étonne encore aujourd’hui l’humanité, peut-être fut-ce là le prix à
payer pour sortir la philosophie de l’anonymat et garantir sa survie, peut-être
aussi parce que ceux qui ambitionnent de gravir
les sentiers escarpés de la philosophie, doivent être « des
conducteurs d’âmes », des hommes qui se désintéressent de la frivolité du quotidien, pour
cheminer ainsi lentement vers la mort qui leur ouvre les portes de la sagesse
et de la sempiternité. Mais ceux qui, comme le Professeur Mamoussé Diagne,
rencontrent un heureux hasard qui les soustrait à cette mort prématurée à
laquelle les prédestinait la philosophie, deviennent des héros qui consacrent
toute leur vie pour la gloire et à la splendeur éternelle de la philosophie.
Nous devons célébrer
ce grand homme, magnifier tout ce qu’il a accompli de grand et de noble pour le
prestige de la philosophie et le rayonnement de son peuple. Le Pr Mamoussé
Diagne est de la race des hommes que le Grand Artisan a façonné en augmentant
la dose de sagesse et d’humanité afin qu’ils soient pour leur peuple ce que
Socrate a été pour l’humanité, ce que Périclès a été pour Athènes, ce que
Aristote a été pour Alexandre le Grand. Hegel dit des Grands hommes de
l’histoire qu’ils sont ceux qui pensent ce que veut leur époque et le
réalisent, et le Professeur Mamoussé Diagne n’a pas fait autre chose que cela,
en se soumettant à l’Esprit, pour être son agent et le servir
inconditionnellement. Mais si les Grands hommes sont prédestinés à mourir jeune
ou dans des conditions tragiques, le Professeur Diagne a réussi à transcender
le temps et à vaincre la mort, par la transmission de la connaissance à travers
les disciples.
Homme affable et
élégant, le Pr Mamoussé Diagne a exercé sur ses étudiants un charme qu’aucune
merveille n’a réussi à exercer sur eux. Son raffinement, caractéristique de ses
origines Saint louisiennes, augmentait le charme et la prestance de sa
gracieuse silhouette qui se confondait avec le décor sublime du département de
philosophie. A la bibliothèque du département ou à la salle 3, c’était un
plaisir de l’écouter faire cours, c’était comme une fête de l’esprit, un voyage
de l’âme vers les plus hautes cimes de la connaissance, ce qui provoquait comme
une tempête qui secouait la profondeur émotionnelle de son auditoire. Son
discours est d’une telle puissance qu’elle peut bouleverser tout notre être,
agiter notre âme. Que le cours porte sur les « trois métamorphoses de
l’esprit » chez Nietzsche, « du proche et lointain Kaidara » ou
encore de la Réminiscence et de l’immortalité de l’âme chez Platon, on sentait
se déployer le pouvoir du logos, qui nous entrainait dans une odyssée de plus
de 2500 ans d’histoire, de sorte qu’on ne savait plus si on a passé deux heures
ou deux millénaires avec lui. Il nous menait de l’obscurité à la clarté, de
l’ignorance au royaume de la connaissance.
Je me rappelle
encore avec plaisir la soirée mémorable à l’ucad 2 entre lui et celui qu’il a
surnommé le prince des Ndananes, à savoir Samba Diabaré Samb, soirée d’une
volupté exquise au cours de laquelle « Le griot et le philosophe »
ont magnifié le pouvoir du verbe, la puissance du logos. Le Professeur Diagne
venait de révéler une autre facette de lui puisque nous venions de comprendre
que la philosophie et son parcours intellectuel, n’ont pas réussi à altérer son
attachement à ses valeurs culturelles et son amour pour la tradition orale.
Ceux qui ont eu le bonheur d’assister à ce banquet divin, ont été
définitivement fixés sur la divine sagesse de ce Grand homme. Ce fut une soirée
d’une douceur enchanteresse, la jouissance d’une symphonie avec Samba Diabaré
Samb, virtuose du xalam, ce « prince des ndananes et ndanane des
princes » pinçant avec dextérité son xalam pour accompagner la voix
fluette de ce dieu, faisant les éloges de la tradition orale. Personne, dans la
salle, ne pouvait résister aux notes magiques du xalam « racontant l’origine jusqu’à la fin des temps ».
D’entrée de jeu, le Pr. Mamoussé Diagne déclare ceci à Samba Diabaré Samb : « J’ai essayé de faire un rapprochement
entre l’oubli et la mort, pour dire que d’une certaine façon, quelqu’un qui
oublie, quelqu’un à qui échappe ce qu’il a été et ce qu’il est, il erre parce
qu’il est perdu et parce que celui qui se perd et perd ce qu’il a de plus
précieux, ne peut lui-même qu’être oublié par les hommes et être oublié
équivaut à mourir ». Il s’en est alors suivi un long dithyrambe de Samba Diabaré en
l’honneur de Mousse Bouri Déguène Kodou à la veille de son départ pour aller trouver Alboury Seynabou Yalla . Cette soirée fut une apothéose, un
charme suave, et je dus être maitre de moi pour contenir les agitations de mon
cœur. J’ai été convaincu, à partir de ce soir-là, de l’essence divine de ce
« ndar ndar », de son génie hors du commun. Que le Professeur Mamoussé
Diagne s’exprime en wolof ou en français, l’effet est le même : on se sent
comme transporté dans un monde inconnu où tout n’est que félicité et joie
éternelle.
Je me rappelle en
1999, alors que j’étais encore gamin, au cours d’une émission dont le Professeur
Diagne était l’invité sur walf fm, le journaliste lui pose la question
suivante : -« Professeur, qu’est-ce qu’un intellectuel ? ».
Et le Professeur de faire la réponse suivante : -« Je vais vous raconter une anecdote qui va me servir de réponse à votre
question. Quand j’étais jeune étudiant, il y avait dans ma chambre, au chevet
de ma table de travail, une caricature dans laquelle était représenté un
monsieur très riche qui avait organisait un festin chez lui. Et seuls les
intellectuels étaient autorisés à prendre à ce festin. Debout devant la porte
de sa maison, le monsieur fortuné avait ordonné que tous ceux qui désiraient
assister au festin, forment une queue devant lui. Il leur posait invariablement
la question suivante : « êtes-vous un intellectuel ? Puisqu’il
n’y a pratiquement aucun critère à partir duquel on peut légitimement dire qui est
intellectuel ou qui ne l’est pas, tous répondaient par l’affirmative. La maison
était ainsi pleine de monde, et notre fortuné monsieur ne se lassait toujours
pas de poser la même question. Ce fut le tour d’un vieillard très bizarre à qui
on pose la question : « êtes-vous un intellectuel ? » et il
répond : « Mais qu’est-ce qu’un intellectuel? ». Après
quelques secondes de réflexion, le monsieur fortuné fait sortir tous ceux qu’il
avait admis à prendre part à ce festin, pour ne finalement laisser entrer que
ce vieillard très bizarre. Et j’en conclus, qu’un intellectuel, c’est celui qui
se pose la question : qu’est-ce qu’un intellectuel ? ».
C’est ce jour-là que j’ai secrètement fait ma déclaration d’amour à la
philosophie et au Professeur Mamoussé Diagne.
Un camarade de
promotion au département de philosophie, devenu aujourd’hui un ami fidèle, m’a
une fois dit avoir le sentiment que le Professeur Diagne avait réponse à toutes
les questions qui lui étaient posées. Je lui ai dit que cela s’explique
peut-être par le fait que Diotime de Mantinée, la Prêtresse dont Socrate
affirme, dans le Banquet, être l’élève, est celle qui est l’institutrice du
Professeur Diagne. Ou peut-être encore, par le mystère de la transmigration des
âmes et leur retour périodique à la vie, est-ce l’âme du divin Platon qui
s’incarne dans le corps du divin Professeur Mamoussé Diagne.
Vivez très
longtemps Professeur !
Ibrahima SOW, professeur de philosophie au lycée de
Tivaouane Peulh.
NB : les groupes
de mots en gras, sont extraits de phrases du Professeur Mamoussé Diagne.
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